Le blog d'Agnès Gayraud

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Ô Sylvia

Sylvia_Hanschneckenbühl

J’ai vu Sylvia Hanschneckenbühl vendredi soir au Pop’in – ce n’était pas la première fois – dans la petite salle basse de plafond qu’on gagne par des escaliers qui montent et qui descendent, où il fait vite trop chaud, où jouent souvent des gens bien. Ce n’était pas un soir d’émeute, mais la salle était assez pleine. Et Sylvia chantait bien. Elle a commencé par « Salt and Wine », seule, simplement accompagnée de sa guitare. Tout le monde s’est tu. La voix un peu chargée, le son rond et délicat de la demi-caisse noire vernie résonnant d’accords simples, une fille en tee-shirt des Breeders commence, en guise d’introduction, sur le thème d’un amour pathétique; ce sentiment, dans la circonstance amoureuse, d’avoir encore douze ans, l’âge où on ne peut prétendre sérieusement ni au sexe ni au grand amour; ce sentiment, aussi, de ressembler à une pauvre pute, un peu décatie, prête à tout devant un jeune beau pour un vrai baiser sur la bouche.

«  I know the grace of this world and I know what it’s like to be twelve, and I know what it’s like to be a whore.« 

C’était bien Sylvia H, dans toute son élégance, son corps maigre à moitié avalé par sa guitare, à la fois puérile et revenue de tout, âme trop jeune et trop vieille pour être sexy comme il faut, pour incarner sans déborder la projection idéale de la jeune-fille glamour, le type prisé de la « slut with boots » que l’impeccable « Nicely Stupid », plein de violence et de dépit, piétine sur cinq accords et trois minutes. C’était bien elle, franchement belle et émouvante, pas vraiment sûre de maîtriser son effet.

Quand Basile « Gordon Comstock » la rejoint sur scène et qu’ils reprennent ensemble les Kinks ou le déchirant « Here no more » des Breeders, avec deux voix très vives qui lancent les mélodies comme des hymnes contre le micro près de saturer, on se sent presque à Nashville, dans un rebouclage spatio-temporel qui pourrait paraître improbable, ce soir de juin 2013 à Paris, France. Mais ils restent justes et on y croit, parce qu’ils ont manifestement gardé l’essentiel : sans ruse et sans pose, ils ont encore la foi.

Car Sylvia H. est une fidélité. Elle a la mémoire obsessionnelle des buveurs de bière, et des romancières intimes. La plupart de ses chansons racontent des souvenirs. Des souvenirs d’adolescence, qui en étaient déjà à l’époque : la vitesse de ses rêves excède de loin celle de la vie réelle.

Et la vie réelle déçoit.

« Sometimes life seems like a party and it seems you’re uninvited.« 

Elle le dit en anglais, c’est sa pudeur, pour balancer des horreurs, avec un sens inouï de l’irréversible, un mélange d’ingénuité et de désespoir. Sur Absolute, Kahlua & Bailey’s, « Number 18 » parle de l’avortement d’une gamine de dix-huit ans. Sur Doesn’t sing Christmas, « 17:30 Underground », avec sa parfaite mélodie smithienne – Sylvia n’aime pas les Smiths – raconte un suicide  » right in the center of the city« , à l’heure de pointe, pour emmerder le monde, et peut-être aussi, pour être aperçu de lui. Révolte adolescente? Oui, en plein. Mais adolescence éternelle, celle qui a tout compris de la tristesse du monde adulte et touche à une certaine essence de la vie. Celle qui a devant elle tous les possibles et décèle la limite de chacun.


Cet âge adolescent, qu’elle a aujourd’hui dépassé, Sylvia l’a mis au coeur de sa musique. Il fait toute la vérité de son personnage, arrogant et fragile, tout le sel de sa parfaite attitude de sphynx élancé, de son sublime et pur instinct du rock’n roll. Elle vieillira avec lui et avec grâce, parce que l’adolescence n’a jamais été pour elle une affaire de midinettes. Plutôt une histoire qui nous hante parce qu’on l’a rêvée sans vraiment tout à fait la vivre et qui ne reviendra jamais.

« There will never snow in april no more.« 

Sur le chemin du retour, je me rechante dans la nuit ses mélodies élégiaques et à tue-tête, en boucle, sur mon velib’ un peu cassé, ce « you played twelve songs / it was dedicated all to me » qui rythme la fin de « Salt and Wine ». Et j’admire sa perfection. Cette petite sœur des Breeders a des inflexions dylaniennes, le naturel oscillant entre le pathos alcoolisée de Christine McVie et l’agilité pop de Stevie Nicks dans Fleetwood Mac. Mais ces ascendances ne sont pas seulement des noms à caser dans son dossier de presse pour les besoins de la com’, elles coulent vraiment dans ses veines.
Le jour où ces gens mourront, elle chialera sans doute un long moment dans sa bière, et avec un peu de chance, elle en fera une chanson.

Sylvia Hanscneckbühl a sorti deux albums, aussi bons l’un que l’autre.
Does not sing christmas (2009)
Absolute, Kahlua & Bailey’s (2013)
Vous pouvez les écouter et les acheter ici.

www.hanschneckenbuhl.com